Dans un monde où les serveurs, les ordinateurs personnels et les laboratoires informatiques domestiques (homelabs) se multiplient, la gestion à distance des machines est devenue un enjeu central pour les professionnels comme pour les passionnés. Pouvoir redémarrer une machine bloquée, accéder au BIOS à distance ou encore installer un système d’exploitation sans être physiquement présent sont des besoins récurrents dans les environnements modernes.

Traditionnellement, ces fonctions étaient réservées au matériel serveur équipé de technologies comme l’IPMI (Intelligent Platform Management Interface). Puissant et fiable, l’IPMI est toutefois inaccessible aux configurations grand public, notamment les PC gamers, les mini-PC, ou les serveurs faits maison.
Face à cette limitation, des solutions open-source et DIY ont vu le jour, offrant des fonctionnalités similaires à moindre coût. Parmi elles, PiKVM et NanoKVM se distinguent comme deux projets innovants permettant de créer son propre KVM over IP, c’est-à-dire un accès distant au clavier, à la vidéo et à la souris — comme si vous étiez devant l’écran.
Dans cet article, nous allons explorer et comparer ces trois approches :
- IPMI : la solution professionnelle intégrée aux cartes mères de serveurs.
- PiKVM : une alternative open-source basée sur le Raspberry Pi.
- NanoKVM : une version plus compacte et plus simple pour certains usages.
Vous découvrirez leurs avantages, leurs limites, et surtout comment choisir la solution la plus adaptée à votre usage : que vous soyez administrateur système, geek passionné, ou freelance en télémaintenance.
Qu’est-ce que l’IPMI ?
L’IPMI, pour Intelligent Platform Management Interface, est un standard de gestion à distance des serveurs développé à l’origine par Intel, Dell, HP et NEC dans les années 2000. Conçu pour permettre une supervision matérielle indépendante de l’OS, IPMI est aujourd’hui un pilier dans les environnements professionnels et les datacenters.
Une technologie intégrée aux cartes mères de serveurs

Le fonctionnement de l’IPMI repose sur un composant matériel dédié : le BMC (Baseboard Management Controller). Ce microcontrôleur est intégré à la carte mère des serveurs et dispose de sa propre interface réseau. Il peut fonctionner même si l’ordinateur est éteint, bloqué dans le BIOS ou si le système d’exploitation ne démarre plus.
L’IPMI donne un accès complet aux fonctions suivantes :
- Contrôle de l’alimentation : allumer, éteindre, redémarrer la machine.
- Accès à distance au BIOS/UEFI via une console KVM (Keyboard, Video, Mouse).
- Surveillance des capteurs : température, ventilation, voltage, etc.
- Montage d’images ISO à distance pour installer ou réparer un OS.
- Journal d’événements système (SEL) utile pour le diagnostic.
En d’autres termes, c’est comme être physiquement devant le serveur, mais sans bouger de son bureau.
Comment ça s’utilise ?
L’IPMI se configure depuis le BIOS de la carte mère serveur. Une fois activé, vous lui assignez une adresse IP dédiée. L’accès peut se faire via :
- une interface web (souvent obsolète ou en Java),
- des outils CLI comme
ipmitool
, - des API compatibles (Redfish, notamment sur les versions récentes).
Certaines implémentations propriétaires proposent des interfaces plus modernes, comme :
- iDRAC chez Dell,
- iLO chez HP,
- Remote Management chez ASRock Rack,
- IPMIView chez Supermicro.
Les avantages d’IPMI
- Intégré et autonome : pas besoin de système d’exploitation pour fonctionner.
- Très fiable : conçu pour les environnements critiques.
- Accès complet au serveur, y compris au BIOS.
- Faible consommation : tourne avec peu de ressources.
Les inconvénients à connaître
- Inaccessible sur les cartes mères grand public (PC gamer, stations de travail classiques).
- Interfaces souvent vieillissantes (Java, Flash, non responsives).
- Coût plus élevé du matériel serveur qui l’intègre.
- Risques de sécurité si mal configuré ou exposé sur Internet.
IPMI reste donc une référence incontournable pour les environnements professionnels. Mais pour les utilisateurs de PC standard ou les passionnés de homelab, des solutions alternatives comme PiKVM ou NanoKVM offrent une approche moderne et accessible du KVM over IP. C’est ce que nous allons explorer dans la suite de cet article.
PiKVM : l’alternative DIY à l’IPMI
Présentation du projet

PiKVM est un projet open-source ambitieux qui transforme un simple Raspberry Pi en un véritable système de contrôle distant KVM over IP, fonctionnant indépendamment du système d’exploitation de la machine cible. Conçu initialement par Maxim Devaev, PiKVM est aujourd’hui une solution fiable, sécurisée et performante utilisée par de nombreux administrateurs réseau, makers et passionnés de homelab.
Contrairement aux solutions logicielles comme TeamViewer ou AnyDesk, PiKVM fonctionne au niveau matériel, ce qui signifie qu’il permet de :
- voir l’écran même si l’OS ne démarre pas,
- entrer dans le BIOS/UEFI,
- redémarrer ou éteindre la machine,
- booter une image ISO à distance,
- et interagir comme si vous étiez devant le clavier et la souris.
Comment ça marche ?
PiKVM utilise plusieurs composants pour simuler une console physique sur une machine distante :
- Raspberry Pi 4 (ou Compute Module 4 pour les versions avancées)
- Clé USB HDMI capture : pour récupérer le signal vidéo de la machine cible
- Adaptateur USB OTG : pour simuler un clavier/souris branché à la machine
- Relais GPIO ou USB : pour déclencher le redémarrage ou l’allumage à distance
- Interface web moderne : accessible depuis un navigateur, sans plugin
Le système repose sur une distribution Linux légère optimisée pour le Pi, avec une interface web responsive (NoVNC), le support des ISO bootables à distance, SSH, et même des outils d’automatisation via API.
Exemple de configuration matérielle simple
Composant | Référence / Description | Prix approximatif |
---|---|---|
Raspberry Pi 4 (2GB min) | Micro-ordinateur principal | 40–60 € |
Clé HDMI vers USB (capture) | Clé HDMI UVC compatible (ex: HDMI UGrabber) | 10–20 € |
Câble USB OTG ou adaptateur | Pour le contrôle clavier/souris | 5–10 € |
Module relais (optionnel) | Pour éteindre / redémarrer la machine | 5–10 € |
Boîtier + alimentation | Pour loger le tout proprement | 10–20 € |
Total : environ 80–100 € pour une configuration complète et autonome.
Les points forts de PiKVM
- Compatible avec presque tous les PC (aucune exigence de carte mère spéciale)
- Accès complet au BIOS et OS planté
- Interface web moderne, rapide et intuitive
- Support des ISO bootables à distance
- Open-source, personnalisable, mise à jour fréquente
- Consommation électrique faible
Les inconvénients à considérer
- Nécessite un peu de bricolage (câblage, configuration initiale)
- Capture vidéo dépend de la qualité du dongle HDMI
- Prise de contrôle via relais GPIO non native : à configurer manuellement
- Pas de support officiel (communauté GitHub très active néanmoins)
Cas d’usage typiques
- Homelab personnel : pour gérer plusieurs machines depuis un seul navigateur
- Serveur auto-hébergé sans IPMI (Proxmox, TrueNAS, etc.)
- Dépannage à distance chez des clients, amis ou collègues
- Tests de distributions Linux / Windows sans clé USB physique
- Streaming local de l’écran d’un PC gamer
PiKVM est sans conteste l’une des meilleures alternatives à l’IPMI pour les utilisateurs non professionnels souhaitant un accès total à leurs machines, que ce soit pour gérer un petit réseau de serveurs ou dépanner un PC sans OS fonctionnel.
NanoKVM
Présentation du projet
NanoKVM est une alternative ultra-légère à PiKVM, pensée pour être plus compacte, moins chère et parfois plus facile à intégrer dans des environnements très restreints. Il s’agit d’un KVM over IP minimaliste, basé non plus sur un Raspberry Pi mais souvent sur des microcontrôleurs tels que l’ESP32-S2 ou des petites cartes ARM peu coûteuses.

Conçu pour répondre à des besoins très ciblés — comme redémarrer un PC ou interagir basiquement avec l’écran d’une machine distante — NanoKVM est idéal pour les configurations où l’espace, le coût ou la consommation énergétique sont des contraintes majeures.
Comment fonctionne NanoKVM ?
Contrairement à PiKVM qui embarque une véritable interface KVM avec capture vidéo en direct, NanoKVM fonctionne sur un modèle plus restreint :
- Il simule un clavier USB pour envoyer des commandes à la machine distante.
- Il permet un redémarrage matériel via relais ou commandes GPIO.
- Il peut capturer un flux VGA ou HDMI très basique (en image statique ou vidéo très lente).
- Il utilise un microcontrôleur connecté en Wi-Fi ou Ethernet, capable de servir une interface web ultra-légère pour interagir avec la machine.
NanoKVM ne propose pas une interface graphique fluide ni de console NoVNC comme PiKVM. Il s’oriente plutôt vers des usages simples mais efficaces, comme :
- envoyer
Ctrl+Alt+Del
, - déclencher le boot sur un média USB,
- forcer un shutdown matériel.
Configuration matérielle typique
Composant | Référence / Description | Prix approximatif |
---|---|---|
ESP32-S2 / Raspberry Pi Zero | Carte principale | 5–15 € |
Relais USB ou GPIO | Pour contrôle d’alimentation | 3–5 € |
Adaptateur HDMI (optionnel) | Pour capture d’image de sortie vidéo | 10–15 € |
Interface web embarquée | Servie par le microcontrôleur (HTML léger) | — |
Budget total : entre 20 et 35 € selon les options choisies.
Avantages de NanoKVM
- Ultra économique : solution KVM over IP la plus abordable du marché
- Très compact : parfait pour les boîtiers Mini-ITX ou les environnements serrés
- Consommation quasi nulle (souvent < 1W)
- Idéal pour actions simples à distance (reboot, entrées clavier)
- Peut être fabriqué à partir de composants recyclés ou récupérés
Inconvénients majeurs
- Pas de capture vidéo fluide ni de console interactive comme PiKVM
- Pas de support ISO à distance ou clavier/souris complet
- Configuration plus technique et fragmentée
- Moins de documentation officielle (projet plus confidentiel que PiKVM)
- Plus adapté aux utilisateurs avancés bricoleurs
Cas d’usage pertinents
- Serveur headless low-power sans besoin de console graphique
- Action ponctuelle sur machine plantée (reboot ou hotkey)
- Contrôle de PC caché dans un meuble ou sur site distant
- Mise en place d’un watchdog pour reboot automatique
NanoKVM est un excellent compromis pour les utilisateurs avancés qui veulent un contrôle minimaliste mais efficace à très bas coût. Il ne remplace pas un vrai IPMI ou un PiKVM, mais remplit parfaitement des besoins simples, en toute discrétion.
Comparatif : IPMI vs PiKVM vs NanoKVM
Face à la diversité des solutions de contrôle distant, il peut être difficile de faire un choix éclairé. Chaque technologie — IPMI, PiKVM, NanoKVM — répond à des besoins spécifiques. Ce comparatif vous permettra de visualiser clairement leurs différences et de sélectionner celle qui correspond le mieux à votre usage.
Tableau comparatif
Critère | IPMI | PiKVM | NanoKVM |
---|---|---|---|
Origine | Intégré aux serveurs professionnels | Projet open-source basé sur Raspberry Pi | Projet DIY basé sur microcontrôleur |
Accès BIOS/UEFI | ✅ Oui | ✅ Oui | ⚠️ Limité (pas toujours possible) |
Contrôle clavier/souris | ✅ Oui | ✅ Oui | ⚠️ Partiel (clavier uniquement selon modèles) |
Affichage vidéo distant | ✅ Parfait (via carte IPMI dédiée) | ✅ Très bon (HDMI via dongle UVC) | ❌ Non fluide ou image fixe |
Redémarrage à distance | ✅ Inclus | ✅ Possible via relais GPIO | ✅ Possible via relais GPIO |
Montage ISO à distance | ✅ Oui (via interface web IPMI) | ✅ Oui (interface web ou CLI) | ❌ Non |
Installation nécessaire | ❌ Aucun (intégré matériellement) | ⚠️ Oui (assemblage et configuration requis) | ✅ Oui (souvent plus complexe encore) |
Compatibilité matérielle | ❌ Réservé aux serveurs pro | ✅ Tous les PC avec sortie HDMI/USB | ✅ Très large (tant qu’un port USB est dispo) |
Consommation énergétique | ⚠️ Moyenne | ✅ Faible (~5W) | ✅ Très faible (<1W) |
Prix moyen (estimation) | 💰 100–500€ (intégré ou carte dédiée) | 💰 80–100€ | 💰 20–35€ |
Mise à jour et support | ⚠️ Limité (firmware propriétaire) | ✅ Communauté active / GitHub | ⚠️ Communauté plus restreinte |
Sécurité / Accès distant | ✅ Authentification intégrée / IPMI | ✅ SSH, HTTPS, contrôle d’accès | ⚠️ Dépend de la configuration manuelle |
Recommandations par profil d’utilisateur
Administrateurs système professionnels
- Choix recommandé : IPMI
- Raisons : Intégré au matériel serveur, support technique, fiabilité à toute épreuve.
Utilisateurs de homelab ou auto-hébergement
- Choix recommandé : PiKVM
- Raisons : Très proche d’un IPMI, accessible, compatible avec presque tous les PC.
Makers / Bidouilleurs / Budget serré
- Choix recommandé : NanoKVM
- Raisons : Ultra économique, parfait pour du reboot ou contrôle simple.
Maintenance à distance ponctuelle
- Choix recommandé : PiKVM (ou NanoKVM si usage minimaliste)
- Raisons : Portabilité, prise en main rapide, polyvalence.
En bref
Situation | Meilleure solution |
---|---|
Gérer un datacenter | IPMI |
Contrôler un serveur Proxmox maison | PiKVM |
Rebooter un PC sans écran à distance | NanoKVM |
Installer un OS sans se déplacer | PiKVM |
Avoir une solution simple et peu coûteuse | NanoKVM |
La gestion à distance des machines est devenue un enjeu crucial, que ce soit pour les professionnels de l’informatique, les passionnés de homelab ou les simples curieux. Grâce à des solutions comme IPMI, PiKVM et NanoKVM, il est aujourd’hui possible de prendre la main sur un ordinateur — même à des centaines de kilomètres — avec un niveau de contrôle qui, jusqu’à récemment, était réservé aux grandes infrastructures.
- IPMI reste la solution de référence dans l’univers professionnel : robuste, fiable, mais souvent coûteuse et réservée aux serveurs.
- PiKVM offre un parfait compromis pour les utilisateurs avancés : riche en fonctionnalités, open-source, évolutif et abordable.
- NanoKVM, enfin, séduit par sa simplicité, son ultra faible coût, et son côté minimaliste pour les besoins ponctuels.
Dans un monde de plus en plus connecté, où la disponibilité des machines devient essentielle, ces outils vous permettent de reprendre le contrôle total — sans avoir à bouger de chez vous.
Et maintenant ?
Pourquoi ne pas monter votre propre PiKVM ou NanoKVM ?
Dans un prochain article, nous pourrions explorer comment fabriquer l’un de ces dispositifs étape par étape, ou encore quels projets GitHub suivre pour aller plus loin.