Le départ d’une idée : L’éviction qui a tout changé
Juliet Rothenberg, directrice des initiatives climatiques chez Google Research, se souvient de cette nuit où elle a dû évacuer son domicile en Californie, les yeux rivés sur des images satellites floues et obsolètes. « Nous attendions des mises à jour toutes les 12 heures, alors que le ciel était rouge et que l’air devenait irrespirable », raconte-t-elle. Comme des millions de personnes confrontées aux incendies, elle a réalisé l’ampleur d’un problème systémique : les autorités manquaient cruellement de données précises et en temps réel pour anticiper les catastrophes.
Quatre ans plus tard, cette expérience a contribué à donner naissance à FireSat, une constellation de satellites conçue pour repérer des départs de feu de la taille d’une salle de classe en moins de 20 minutes. Le premier satellite de ce projet ambitieux, développé par l’Earth Fire Alliance en partenariat avec Muon Space et financé en partie par Google.org, a été lancé cette semaine par SpaceX.
FireSat : La constellation qui repère les feux en 20 minutes
Le premier satellite FireSat a été lancé par SpaceX , marquant le début d’une constellation de 50 satellites. Objectif : détecter un feu de 5×5 mètres (la taille d’une salle de classe) en 20 minutes . Financé par Google.org (13 millions de dollars) et la Moore Foundation , le projet utilise une combinaison d’IA et de capteurs avancés pour repérer les flammes tôt, même dans des zones reculées comme les montagnes.

Comment ça marche ?
- IA et algorithmes : FireSat compare en temps réel les images avec des données historiques (météo, infrastructures) pour éviter les faux positifs (ex. : une barbecue).
- Partenariats clés : Muon Space a réduit le coût des satellites, tandis que Google Research a développé des modèles d’analyse.
Pourquoi FireSat change la donne face aux incendies
Les systèmes actuels de surveillance des feux souffrent de lacunes majeures :
- Images satellites peu fréquentes (toutes les 12 heures en moyenne).
- Résolution insuffisante pour détecter des feux naissants.
- Délais critiques entre le départ de feu et son identification.
FireSat répond à ces défis grâce à une combinaison inédite :
Aspect | Technologie FireSat | Systèmes traditionnels |
---|---|---|
Détection | Feux de 5×5 mètres (20 minutes max) | Feux de plusieurs hectares |
Fréquence des images | Surveillance quasi continue | Mises à jour toutes les 6-12 heures |
Technologie | IA analysant l’historique météo et topographique | Surveillance humaine et drones |
Couverture | Globale, zones reculées incluses | Limitée aux régions accessibles |
L’IA au cœur de la lutte contre le feu
L’innovation clé de FireSat réside dans son algorithme d’intelligence artificielle, entraîné à distinguer un vrai départ de feu du « bruit » environnemental — qu’il s’agisse de reflets solaires, de pannes de capteurs ou de simples pixels mal calibrés. « Nous avons testé le système en allumant des feux de camp et des barbecues, puis en survolant la zone avec des avions équipés de capteurs », explique Erica Brand, cheffe de projet chez Google. Une approche empirique qui a permis d’affiner la précision du modèle.
Mais l’IA ne fonctionne pas en solo. Elle croise les données en temps réel avec :
- L’historique des images satellites de la zone.
- Les conditions météo locales (vent, humidité, températures).
- La présence d’infrastructures (habitations, lignes électriques).
Un impact bien au-delà de l’urgence
Si FireSat vise d’abord à sauver des vies et des écosystèmes, ses implications climatiques sont tout aussi cruciales. Les incendies libèrent des quantités massives de CO₂, alimentant un cercle vicieux :
- Les émissions réchauffent le climat.
- Le réchauffement assèche les paysages.
- Les feux deviennent plus fréquents et intenses.
« En détectant les feux plus tôt, on réduit leur durée et leur étendue, donc leurs émissions », souligne Chris Van Arsdale, cofondateur du projet. Une étude de l’Organisation météorologique mondiale estime que les mégafeux ont relâché 1,76 milliard de tonnes de CO₂ en 2023 — l’équivalent des émissions annuelles de 400 millions de voitures.
De la Silicon Valley à l’espace
Derrière FireSat se cache un écosystème d’acteurs :
- Google.org a injecté 13 millions de dollars via AI Collaboratives, son fonds dédié aux projets d’IA pour le climat.
- Muon Space, start-up spécialisée dans les satellites compacts, a conçu les appareils pour optimiser coûts et performances.
- Des pompiers et scientifiques contribuent à l’étalonnage des données.
« Le prix des satellites a chuté de 80% en dix ans, rendant ce projet viable », note Chris. Une aubaine pour déployer les 50+ satellites prévus d’ici 2026.
Et demain ?
Le lancement réussi du premier satellite n’est qu’une étape. L’équipe planche déjà sur :
- L’intégration des données dans les outils grand public comme Google Maps, déjà utilisé pour cartographier les limites des feux en temps réel.
- La création d’une bibliothèque mondiale sur la propagation des incendies, utile pour la recherche climatique.
- L’adaptation aux zones à risque émergentes, comme l’Amazonie ou la Sibérie.
« FireSat n’est pas qu’un outil d’urgence — c’est une pierre angulaire pour la science du climat », résume Juliet.