L’apprentissage automatique et la reconnaissance d’images moléculaires sont beaucoup plus rapides que les chercheurs pour identifier des traitements potentiels. Cela ne signifie pas que ces médicaments seront plus efficaces.
L’entreprise spécialisée en biotechnologie Genentech a recruté 200 patients pour vérifier si l’un de ses médicaments expérimentaux pouvait maîtriser une forme douloureuse et incurable de maladie inflammatoire de l’intestin. Jusqu’à présent, le composé n’avait été administré que dans le cadre d’expériences visant à traiter des maladies pulmonaires et cutanées. La décision de modifier un médicament pour l’utiliser contre une maladie différente de celle prévue à l’origine prend souvent des années de travail, mais la société californienne de biotechnologie l’a fait en seulement neuf mois grâce à l’intelligence artificielle. Selon la société, intelligence artificielle a aidé ses chercheurs à analyser des millions de possibilités pour confirmer que le médicament pouvait être utile contre les maladies affectant les cellules du côlon.
« Ce n’est pas comme si l’homme n’était plus nécessaire », explique Aviv Regev, biologiste informatique de l’université de Harvard et du Massachusetts Institute of Technology, « Mais l’humain se voit soudain doté d’un superpouvoir ».
Ce projet n’est qu’un exemple de l’adoption de l’IA par l’industrie pharmaceutique pour accélérer le développement de médicaments. La société mère de Genentech, Roche Holding AG, a notamment comme projet ambitieux la construction de son propre outil d’IA générative, RocheGPT. L’objectif est non seulement d’aller plus vite, mais aussi de répondre à des questions auxquelles il n’était pas possible de répondre auparavant, explique Mme Regev.
Mais le véritable test pour la biotechnologie sera de savoir si les médicaments développés avec l’intelligence artificielle sont plus efficaces que ceux développés par l’Homme.
Lors d’une table ronde organisée dans le cadre de la conférence de JPMorgan, M. Huang, PDG de Nvidia Corp, dont les puces offrent aux IA génératives une importante puissance de calcul, a déclaré que dans les dix prochaines années, les médicaments pourraient être conçus presque entièrement par simulation grâce à des plates-formes informatiques telles que celles fournies par son entreprise.
Cela marquerait un changement radical dans le monde du développement des médicaments. Selon le Business Consulting Group, il faut généralement 12 à 15 ans pour mettre un médicament sur le marché. Le cabinet de conseil estime que la R&D pilotée par l’IA pourrait contribuer à réduire de 25 à 50 % le temps et les coûts nécessaires pour amener les médicaments candidats jusqu’au stade des essais sur l’homme, mais des études seront encore nécessaires pour prouver que les médicaments assistés par l’IA ont une plus grande probabilité de succès clinique.
Néanmoins, Kimberly Powell, responsable du segment santé de Nvidia, affirme que le secteur pharmaceutique est en train de changer rapidement en réponse à l’IA, de nombreuses start-ups avec lesquelles Nvidia travaille aujourd’hui se considérant comme des entreprises de « techbio » plutôt que de biotechnologie, utilisant les données pour « déterminer la biologie qu’elles visent, au lieu que la biologie influence la technologie qu’elles doivent utiliser ».
La clé réside dans la capacité de l’IA à donner un sens à d’énormes volumes de données, explique Kimberly Powell. « L’avenir, c’est d’être capable d’intégrer des données très, très complexes dans des modèles qui nous permettent de raisonner d’une manière que l’homme n’aurait jamais pu faire. Vous pouvez en fait utiliser le langage parlé ou tapé : « Veuillez générer de nouvelles molécules qui ressemblent à celle-ci mais qui ont ces caractéristiques ». Et que se passe-t-il ? Elle se lance et le résultat concerne le top 10 des molécules que vous pensez devoir cibler ».
Le secteur des puces n’a pas toujours été à la hauteur de ces prévisions optimistes. Nvidia, par exemple, prédisaient que, vers 2020, l’intelligence des machines permettrait aux véhicules automatisés de conduire. Bien que l’industrie automobile a massivement augmenté la quantité de technologie dans chaque véhicule, les robotaxis et leurs semblables sont encore loin de faire partie de la vie de tous les jours.
« Dans cinq ans, assisterons-nous à une véritable découverte de médicaments basée sur l’IA ? Je pense que c’est la question à un million de dollars », déclare Anders Romare, directeur du numérique et de l’information chez Novo Nordisk A/S, fabricant d’antidiabétique et d’ amaigrissants. Novo a déjà déployé l’IA dans l’ensemble de l’entreprise, l’utilisant pour tout, de l’accélération des soumissions réglementaires à la supervision de la qualité de la production. Les employés utilisent ChatGPT à l’intérieur du pare-feu de l’entreprise plus de 50 000 fois par mois, selon M. Romare. Mais si l’IA peut accélérer le travail, « en fin de compte, mettre un médicament entre les mains d’un patient doit être une décision humaine fondée sur des connaissances et une compréhension humaines », précise-t-il.
Chez Roche, les efforts en matière d’IA s’inscrivent dans le cadre d’une initiative visant à revenir au premier plan du développement de médicaments. Genentech est un pionnier de la biotechnologie à l’origine de certains des médicaments anticancéreux les plus vendus, mais il a eu du mal à développer des produits phares ces dernières années. Dans le cadre d’un projet sur la colite ulcéreuse, les chercheurs disposaient déjà de données scientifiques suggérant qu’un médicament expérimental que Genentech avait acquis en août 2022 pourrait être utile pour lutter contre les maladies du côlon. Ils ont utilisé l’apprentissage automatique pour analyser des cellules individuelles, puis un autre outil numérique pour une recherche d’image inversée pour un type spécifique de cellule dans le côlon qui pourrait être influencé par le médicament.
Genentech explique qu’il s’agit d’apprendre à l’IA à reconnaître les cellules qui présentent une certaine caractéristique de la maladie, puis de lui faire trouver des cellules présentant des caractéristiques similaires dans d’autres parties de l’organisme. Mais seul l’essai sur les patients montrera à quel point le médicament basé sur un algorithme peut être utile.
Les scientifiques ont déjà démontré que les algorithmes peuvent réduire considérablement le temps nécessaire pour trouver un composé chimique qui atteindra une certaine cible sur une cellule, explique Alpha Lee, physicien à l’université de Cambridge. L’IA ne fera pas pleinement ses preuves en biologie, selon lui, tant que des études humaines telles que celle menée par Genentech n’auront pas été menées. « Parfois, lorsque vous ouvrez la porte, vous découvrez qu’il n’y a en fait rien derrière », explique M. Lee. L’IA n’est pas « une panacée qui peut tout résoudre » dans le développement des médicaments, ajoute-t-il. « Le moment est peut-être venu de prendre du recul et de déterminer très concrètement quels sont les principaux problèmes que nous pouvons résoudre grâce à l’IA aujourd’hui, et quelle est la feuille de route pour l’avenir ».